L’épilogue ne conclut jamais tout à fait les romans historiques de Pierre Lemaitre. Dans Miroir de nos peines, il clôt certes la fiction, en révélant le destin des personnages, mais il est suivi par un ultime chapitre, intitulé « Comme il se doit ». L’auteur y procède aux remerciements. Pour le lecteur, c’est plus qu’un rituel de reconnaissance : ce sont d’ultimes révélations que l’écrivain distille sur la fabrication de son roman.

On y apprend par exemple que pour camper Louise, Raoul, Gabriel et Désiré dans le cadre de la « drôle de guerre » et de l’exode de 1940, Pierre Lemaitre a lu les travaux de recherche d’historiens spécialistes de la période, parmi lesquels Jacky Tronel et Eric Alary. De la science historique au roman à rebondissements, il y  a un grand pas, que Pierre Lemaitre  franchit avec succès, pour offrir, à un vaste public, un point de vue inédit et mémorable sur l’entre-deux-guerres.

Comment Histoire et récit fictionnel s’articulent-ils, depuis l’idée du livre jusqu’à son écriture ? Quel compagnonnage le romancier tisse-t-il avec l’historien ? Un podcast pour approcher l’art de Pierre Lemaitre, passeur d’histoire(s).

VERBATIM, EXTRAITS DU PODCAST DE PIERRE LEMAITRE

 Roman et Histoire

Un roman historique, c’est avant tout un roman […]. Il faut privilégier l’intrigue, les personnages […] ne pas essayer de faire rentrer au chausse-pied l’ensemble de la documentation. {…] Le fonds historique dans lequel s’inscrit votre intrigue n’est pas simplement un accessoire. […] Aucune intrigue n’est possible sans regarder le contexte social, politique ou historique dans lequel ça se déroule. […]Un roman historique, ça n’est pas un roman plus de l’histoire, c’est un roman dans l’Histoire. 

[…] Les historiens ne cessent de travailler toujours sur les mêmes périodes, {…] ils nous apportent en permanence un nouvel éclairage. La façon par exemple dont on voit la libération de 45 ou l’exode, c’est une manière de voir qui n’est plus la même qu’il y a 30 ans […]. Avec les livres d’histoire, j’actualise la manière dont on peut comprendre l’événement dans lequel va se dérouler mon intrigue romanesque.

Exodes d’hier et d’aujourd’hui

Pendant l’exode, on va avoir des camps de réfugiés qui sont un petit peu, d’une certaine manière, ceux que nous connaissons aujourd’hui. […] Au fond, la dynamique reste en partie la même : ce sont des gens qui sont terrifiés et qui fuient des conditions de vie insupportables et qui tentent, en s’enfuyant, de trouver de meilleures conditions de survie. […] Au début de l’exode, […] ces Belges, ces Luxembourgeois qui arrivent, ce sont des voisins. Mais très vite, lorsque les conditions de l’exode vont devenir difficiles, […] ces voisins vont devenir des étrangers […] à qui on conteste le droit de venir manger le pain des Français.

Peurs et reflexes de crises 

Au moment où nous nous parlons, nous sommes dans la période de la pandémie du Covid-19. […] La manière dont nous nous comportons, elle a beaucoup à voir avec la manière dont se sont comportés les gens, les Français notamment, au moment de l’exode. Au fond, dès qu’il y a une panique, on perd ses repères et au lieu d’être gouverné par ses valeurs, on est piloté par ses terreurs. Au fond, c’est la peur, le manque de connaissances sur ce qui nous arrive, la difficulté à réagir, à savoir quelle doit être la bonne réaction qui fait qu’on va aller se réfugier du côté de ses hantises, la peur de l’étranger, la dénonciation des élites, […] un certain nombre de réflexes qui sont ceux, à mon avis, de tous les peuples dans toutes les grandes crises, celle de 1940 comme celle de 2020. 

BIBLIOGRAPHIE

Pierre Lemaitre, Les Enfants du désastre, trilogie publiée par Albin Michel :

• Au revoir là-haut,  2013
• Couleurs de l'incendie, 2018
• Miroir de nos peines, 2020

Léon Werth, 33 jours, Viviane Hamy, 2015

BIOGRAPHIE

Pierre Lemaitre est auteur de polars et de romans historiques. Avec Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013, il inaugure un cycle romanesque sur l’entre-deux-guerres, Les enfants du désastre, publié chez Albin Michel. Miroir de nos peines (2020), dernier opus de cette trilogie, est consacré à l’exode de 1940. Également scénariste, Pierre Lemaitre a adapté plusieurs de ses romans au cinéma et à la télévision. En 2018, il reçoit un César pour l’adaptation à l’écran d’Au revoir là-haut.

Michalski © Tonatiuh Ambrosetti