[CNRD] La fin de la guerre. Les opérations, les répressions, les déportations et la fin du IIIème Reich (1944-1945)

photo d'archive 1944

19-26 août 1944 : La Libération de Paris, de l’insurrection résistante au défilé de la victoire sur les champs Elysées

Ressource 1
La Libération de Paris : un événement filmé et photographié.
 

Une libération des images



Les combats de la Libération de Paris ont été abondamment photographiés et filmés. Dans le contexte du mois d'août 1944 cette abondance est une revanche sur les années durant lesquelles les images ont été largement prises et contrôlées par l'occupant ou bien le régime de Vichy. C'est particulièrement vrai pour la Résistance qui, du fait de son caractère clandestin, a été si peu illustrée ou représentée. L’été 44 correspond à une sortie de clandestinité collective. Les résistants passent de l’ombre à l’objectif des appareils.

 

La réalisation des images de la Libération de Paris, qu’elles soient photographiées ou filmées,  obéit à des objectifs distincts selon les acteurs. Pour les alliés anglo-américains elles ont une dimension de contre propagande. Face à la propagande allemande toujours active, ils veulent mettre en image la libération de l’Europe pour influer sur le moral des populations, galvaniser les énergies, et briser les résistances.

Pour les acteurs français de la Libération de Paris et de Gaulle en particulier, elles doivent participer à imposer la France parmi les vainqueurs de la guerre. Le texte qui défile au début du film du Comité de libération du cinéma français explique que celui-ci entend « restituer au monde l’image d’une France qui, aux côtés des Alliés, poursuivait la lutte ». Elles sont le pendant iconographique du « Paris libéré, libéré par lui-même, libéré par son peuple » prononcé  par de Gaulle à l’hôtel de ville le 25 août.

Les photographies des 25 et 26 août, en particulier celles du défilé de la victoire, contribuent également à renforcer la légitimité du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) et du général de Gaulle à la tête du pays libéré. La reconnaissance internationale du GPRF par les Etats Unis, la Grande Bretagne et l’URSS n’intervient en effet que le 23 octobre 1944.
 


Les photographes et opérateurs de la Libération de Paris

Les photographes.



Les photographies de la libération de Paris ont été prises par des photographes des agences réquisitionnées par le Comité de libération des reporters photographes de presse (CLRPP) dirigé par Henri Membré. Ce sont par exemple les photographes de l’agence Lapi. Il y a également des photographes indépendants mais qui disposent de peu de films. Trois d’entre eux ont tout de même été très actifs : Serge de Sazo, Jean Séeberger et Roger Schall. Robert Doisneau fait partie de ces photographes indépendants. André Gandner également, qui a photographié clandestinement Paris sous l’occupation, puis sa libération. Le fonds Gandner est conservé au Musée de la Libération de Paris-musée du général Leclerc-musée Jean Moulin. Il y a encore les reporters de guerre qui accompagnent la 4e division d’infanterie américaine lorsqu’elle entre dans Paris le 25 août, notamment ceux du magazine Life. Ils sont souvent mieux équipés et disposent de films couleur. Le plus connu de ces photographes est Robert Capa. Il faut ajouter les services photographiques de la SNCF, ceux de la préfecture de police. Il y a enfin, les anonymes, les particuliers, amateurs de photographie, bien peu nombreux à posséder des films. Certaines photographies prises par ces parisiens ont tout de même été conservées.
 


Les opérateurs et le film de la Libération de Paris.



Des opérateurs sillonnent également la ville à partir du 16-17 août. Ils sont regroupés au sein du Comité de Libération du Cinéma français (CLCF). Ce sont d'anciens journalistes de Gaumont, Pathé ou Éclair, employés à France-Actualités depuis 1942, et des indépendants. L’idée de réaliser un film de la Libération de Paris a été prise pendant l’été. Le tournage est soigneusement préparé. Nicolas Hayer coordonne l’équipe. La capitale est divisée en dix secteurs et les opérateurs sont répartis en équipes de deux ou trois. Les bobines enregistrées sont livrées par des cyclistes aux sept permanences réparties dans la capitale, puis acheminées vers un laboratoire de la rue Carducci remis en route pour la circonstance, et enfin envoyées vers les Buttes- Chaumont pour le montage.

 Les images filmées aboutissent à un film de 32 mn intitulé La Libération de Paris : « réalisé par une équipe de cinéastes de la Résistance, ce film apporte à la France et au monde un témoignage authentique sur la Libération de Paris ». Le montage est terminé le 26 août, Pierre Bost en écrit le commentaire, lu en voix off par Pierre Blanchar. La première présentation publique à Paris a lieu le 29 août 1944. Plus de la moitié de la population adulte parisienne va voir le film dans les semaines qui suivent.

Emmanuel Debono,  Sylvie Lindeperg et Jean-Pierre Bertin-Maghit expliquent dans un article de la Lettre de la Fondation de la Résistance de juin 2004 que le film est dès l’origine pensé comme un témoignage sur l’insurrection parisienne mais aussi comme le premier numéro ou numéro zéro des futures actualités libres que le CLCF entend diffuser dans toutes les salles de cinéma des territoires libérés. Il refuse de laisser le monopole aux actualités américaines, Le Monde libre, seul journal projeté depuis le 6 juin dans la France libre. Nous retrouvons la dimension politique évoquée plus haut. Elle apparaît nettement dans le fait que les troupes anglo-saxonnes figurent uniquement dans la séquence du défilé du 26 août. Il n’y a pas d’images de leur participation aux combats du 25.

Il faut enfin noter que si le film est un témoignage, il est également, en lui-même, un acte de résistance à part entière. Il ne s’agit pas simplement de filmer la Libération de Paris mais d’y participer en la filmant, et par là de libérer le cinéma français.

Le film du CLCF a été constamment recyclé par séquences, non seulement dans des émissions télévisées et des documentaires, mais également dans des oeuvres de fiction. Ce sont les images matricielles (à l’origine) de toutes les représentations de la Libération de la France. Nous pouvons parler à propos de ce film et des conditions dans lesquelles il a été tourné d’une mémoire qui se construit en temps réel.

 

Notons enfin que des photographies ont continué d’être prises et des films d’être tournés après le 25 août. Des reconstitutions ont eu lieu pour donner à voir ce qui n’avait pas été saisi au moment des combats. Des images sont ainsi tournées montrant Rol Tanguy, commandant des FFI parisiens, descendre dans le poste de commandement souterrain puis faire semblant de dicter des ordres. Il s’agit bien de tourner des images pour construire un récit national.

 

Les expositions du musée Carnavalet



La médiatisation des photographies a très rapidement pris d’autres formes que leur simple publication dans la presse. La 1ere exposition de photographies des journées de la Libération de Paris a eu lieu dès le 11 novembre 1944 au musée Carnavalet. François Boucher, le commissaire de cette première exposition, avait récolté 1500 photographies dans les semaines qui avaient suivi les événements. Il s'agissait de donner à voir une ville capitale libérée par son peuple.

Le même musée Carnavalet a organisé une nouvelle exposition photographique 70 ans plus tard, en 2014. Elle reprenait une partie des photographies montrées en 1944, et en présentait d’autres. L’un des enjeux était de montrer combien l’exposition de 1944 cherchait à « élaborer un discours national dans lequel la libération de Paris incarne la libération de la France » (citation de Catherine Tambrun, la commissaire de l’exposition).

Ressource 2
Podcast : portrait d’Anne Marie Dalmaso

Cette jeune femme de vingt-deux ans apparaît dans l’une des scènes les plus marquantes du film de la Libération de Paris. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Comment en est-elle venue à prendre les armes ?

Ressource 3
Eclairage sur une œuvre : l’appel à la mobilisation générale de Rol-Tanguy.

Contexte


Fin août 1944, les Alliés, qui ont débarqué en Normandie le 6 juin, accélèrent leur progression sur le territoire français. Alors que la libération de la capitale française n’est pas une priorité stratégique pour les Américains et les Britanniques, dans la ville la tension monte, les grèves se multiplient. Le 18 août au soir cette affiche de 30 cm de hauteur sur 20 cm de large, appelant les Parisiens à prendre les armes contre l’occupant allemand est placardée sur les murs.
Henri Tanguy en est le principal initiateur. Cet ouvrier métallurgiste, militant communiste, qui a combattu en Espagne dans les rangs des Brigades internationale a rejoint les rangs de la Résistance dès la fin de l’été 1940. Début 1942 il devient chef des Francs-Tireurs et Partisans, mouvement de résistance armée du parti communiste français. Le 1er juin 1944 il est nommé chef des FFI (Forces françaises de l’Intérieur) pour la région parisienne. Promu lieutenant-colonel au sein de cette armée de libération, il prend le nom de Rol et devient Henri Rol Tanguy.


Une résistance intérieure qui prend les armes.


Les mots employés soulignent à la fois le caractère officiel de cet appel et la dimension régulière de cette armée que constituent les FFI. Il ne s’agit pas d’un appel de résistants agissant de manière isolée et impétueuse. Le mot « ordre » revient deux fois dans les premières lignes, ainsi que le verbe ordonner. Le verbe devoir, conjugué à la 3e personne du pluriel, revient trois fois : « les Français doivent se considérer comme mobilisés ». L'affiche s’inspire clairement des ordres de mobilisation générale de 1914 et 1939, encore bien présents dans les esprits.


L’appel dessine en outre le paysage de la résistance intérieure parisienne au moment de la Libération. Il y a les FFI bien sûr, créés en février 1944 par le Comité français de Libération nationale, elles regroupent tous les mouvements de résistance armée qui combattent sur le sol français. Le général Koening en prend le commandement en mars 1944. Le Conseil national de la Résistance (CNR) créé par Jean Moulin en mai 1943, regroupe tous les principaux mouvements de résistance des zones nord et sud ainsi que des partis politiques et syndicats liés à la Résistance. Le Comité d’Action militaire (COMAC), émanation du CNR, est « l'organisme de direction et de commandement des FFI". Dominé par les communistes, le COMAC défend le principe d’une action armée contre l’occupant et a beaucoup fait pour le déclenchement de l’insurrection. Enfin, le Comité parisien de Libération (CPL) fait partie des comités départementaux de Libération également créés par le Conseil national de la Résistance en avril 1944. Ils ont pour rôle de préparer à la fois l’action armée pour la Libération du pays et la restauration des institutions républicaines.


Ce que l’affiche ne dit pas, c’est que du côté du gouvernement provisoire de la République dirigé par de Gaulle, de son délégué général Alexandre Parodi, on est hostile à un déclenchement des combats, par crainte de destructions allemandes dans Paris ainsi que d’une répression violente de la population civile. Le 16 août le général Koenig réitère son ordre de ne pas déclencher prématurément l’insurrection. Mais à Paris la marche vers le soulèvement armé ne peut plus être arrêtée. Le 18 août, la CGT et la CFTC appellent tous les travailleurs à une grève générale, appel relayé par le CNR. Dans la soirée, Rol-Tanguy, s’affranchit des ordres de l’état-major FFI et  décrète la mobilisation générale. Le lendemain 19 août 2 000 policiers insurgés occupent la Préfecture de Police. La Libération de Paris a bel et bien commencé.


Un imaginaire révolutionnaire


Le texte de l’affiche multiplie les références à la nation en arme contre l’oppresseur ou l’envahisseur, références empruntées au grand récit républicain. L’appel à « tous les Français et Française valides » s’inscrit dans les traces volontaires sauvant la République à Valmy. Les Parisiens sont appelés à rejoindre les FFI mais également les « milices patriotiques » qui renvoient à nouveau à cette idée d’un peuple se  mobilisant pour se libérer. L’exhortation finale empruntée au général de Gaulle évoque un « passé de gloire », soulignant l’idée d’une continuité historique, d’un héritage dont il faut savoir être à la hauteur. De manière éclairante, quelques jours plus tard, les Parisiens se mettent à construire des barricades dans la ville, comme en août 1792 au moment de la prise des Tuileries, comme en 1830 ou 1848. Ces combats pour la Libération de Paris sont teintés d’une couleur révolutionnaire.

Voir aussi