Femmes photographes de guerre - #ZéroCliché pour l’égalité fille garçon
Le temps de l’exposition Femmes photographes de guerre (jusqu’au 31 décembre 2022), le musée de la Libération de Paris - musée du général Leclerc - musée Jean Moulin met à la disposition des élèves et des enseignants des ressources pour le concours #ZéroCliché pour l’égalité fille garçon.
Et si photographe de guerre était aussi un métier pour les femmes ? Gerda Taro (1910-1937), Lee Miller (1907-1977), Catherine Leroy (1944-2006), Christine Spengler (née en 1945), Françoise Demulder (1947-2008), Susan Meiselas (née en 1948), Carolyn Cole (née en 1961) et Anja Niedringhaus (1965-2014) en sont la preuve ! Leur biographie à découvrir ci-dessous.
La nouvelle exposition du musée de la Libération de Paris-musée du général Leclerc-musée Jean Moulin donne à voir les regards de huit femmes photographes de guerre sur les conflits du XXe siècle et du début du XXIe.
Contrairement aux idées reçues, le métier de photographe de guerre a été investi par les femmes, avant même que Gerda Taro ne couvre la guerre civile espagnole, et elles continuent à photographier les conflits les plus contemporains comme Anja Niedringhaus ou Carolyn Cole (Irak en 2003 / Afghanistan en 2010 / Palestine). Elles se sont confrontées à la violence des combats, à la mort, aux répercussions des conflits sur les populations civiles, n’hésitant pas à exercer leur métier sur les lignes de front du monde entier, au plus près des combattants.
Les biographies de ces huit femmes doivent permettre aux élèves de mieux les connaître et de mieux saisir l’importance de leur travail. Elles peuvent également servir à l’élaboration d’un projet dans le cadre de la participation au concours Zéro Cliché pour l’égalité filles-garçons. Ces portraits permettent en effet de mesurer ce que le fait d’être une femme a pu entraîner dans l’exercice de ce métier si particulier, ainsi que dans la réception de leur travail.
Photo : Gerda Taro, Mobilisation générale. Valence, Espagne, mars 1937 © Courtesy International Center of Photography
Gerta Pohorylle est née en 1910, dans une famille juive, à Stuttgart en Allemagne. En 1933, au moment de l’accession au pouvoir d’Hitler, elle fuit son pays pour la France. C’est à Paris qu’elle fait la rencontre d’un photographe hongrois, Endre Friedman. En 1936, alors qu’elle s’est à son tour lancée dans la photographie, ils prennent respectivement les noms de Gerda Taro et Robert Capa.
Engagés dans la lutte contre le fascisme, ils partent pour l’Espagne au printemps 1936. Le couple couvre, du côté des Républicains, la guerre civile qui oppose ces derniers aux forces nationalistes conduites par le général Franco. Leurs photographies sont publiées dans la presse française. Gerda Taro couvre notamment la bataille de Barcelone, toujours au plus près des combattants républicains. Elle est meurt en 1937 âgée de 26 ans, lors d’un reportage sur la bataille de Brunete. Le parti communiste prend en charge l’organisation de ses obsèques au Père-Lachaise, qui sont suivies par des milliers de personnes.
Si Gerda Taro est aujourd’hui reconnue comme une pionnière du photojournalisme, son travail est longtemps resté dans l’ombre de celui de Robert Capa. Beaucoup de ses photographies ont été dispersées et perdues avant d’être retrouvées plusieurs dizaines d’années plus tard. D’autres ont été attribuées à tort à Robert Capa. Elle a en effet publié un certain nombre de clichés sous le nom de son compagnon alors même qu’elle a très tôt développé un style personnel.
Elle est l’une des premières femmes photographes à ramener des photos du front. Elle photographie au plus près des cadavres, et construit une maîtrise de l’espace unique en jouant sur les diagonales et la composition graphique de l’image. Elle compte également parmi les premiers photojournalistes (hommes et femmes confondus) à montrer des sujets en mouvement, grâce à l’utilisation d’un nouvel appareil photo de la marque Leica. Déjà de son vivant, elle se fait un nom dans le photojournalisme, tant par son courage que par le caractère inédit de ses photos.
En 2007, une valise est retrouvée à Mexico avec 4500 négatifs de la Guerre d'Espagne à l’intérieur. Ce sont des photographies de Gerda Taro, Robert Capa et David Seymour. Beaucoup de clichés sont alors réattribués à Gerda Taro dont l’œuvre est réévaluée. Cet oubli met en lumière la fragilité du statut des femmes photojournalistes de guerre dans les années 1930. Il a fallu attendre plus de soixante-dix ans pour que Gerda Taro prenne toute sa place dans l’histoire de la photographie, mais aussi dans l’histoire de la guerre au XXe siècle.
Photo : Lee Miller, Deux Allemandes sur un banc dans un parc au milieu des ruines. Cologne, Allemagne, 1945 © Lee Miller Archives, England 2021. All rights reserved. leemiller.co.uk
Ses photographies du camp de Dachau au moment de sa découverte par les Alliés au printemps 1945 ont marqué les esprits. Habillée d’un treillis militaire, casque sur la tête, Elisabeth Miller s’impose alors comme l’une des grands photographes du XXe siècle. Âgée de 38 ans, elle a auparavant vécu de nombreuses vies.
A 19 ans, elle est l’une des mannequins vedettes du magazine Vogue et jouit d’une grande célébrité. Ne supportant pas d’être ainsi réduite à une femme objet, elle apprend la photographie. Elle veut agir. En 1929, elle s’installe à Paris où elle adopte le prénom de Lee. Elle se lie avec les artistes du milieu surréaliste, notamment le photographe Man Ray dont elle devient à la fois le modèle, l’assistante et la compagne. Lee Miller devient une figure importante du Paris artiste du début des années 1930. Dès lors, elle ne cesse de photographier entre Paris, les États-Unis et l’Égypte.
En 1942, alors que la guerre est devenue mondiale, l’édition américaine du magazine Vogue lui propose la réalisation de reportages sur le quotidien des civils et l’effort de guerre consenti par la population britannique. En 1944 elle devient correspondante de guerre officielle pour Vogue auprès de l’armée américaine. Depuis le débarquement sur les côtes normandes, jusqu’à l’entrée en Allemagne, Lee Miller est partout présente sur les zones de combats au côté des GI’s. Elle fait ainsi partie des premiers photographes à prendre des clichés des camps de concentration au moment de leur ouverture. Elle se trouve à Dachau et Buchenwald, photographiant les gardiens SS à genoux, au plus près de leur visage, les populations allemandes voisines, contraintes de visiter les camps, d’ouvrir les yeux sur ce qu’elles avaient refusé de voir.
Le parcours de Lee Miller est celui d’une femme-objet, célébrée pour sa beauté, qui s’empare d’un appareil photographique pour entrer en action et donner à voir son propre regard sur le monde. Ce parcours peut être considéré comme une forme de libération. Pour autant, comme pour Gerda Taro, son œuvre est demeurée relativement ignorée pendant longtemps. Elle n’a été reconsidérée qu’au début des années 2000, notamment pour la manière dont elle représente les conséquences de la guerre sur les femmes.
Photo : Catherine Leroy, L’aide-soignant de la US Navy Vernon Wike auprès d’un Marine mortellement touché lors de la bataille de la cote 881 aux environs de Khe Sanh. Vietnam, avril-mai 1967 © Dotation Catherine Leroy
Février 1966, une toute jeune femme de 21 ans, de 1,48 m pour à peine plus de 40 kg, s’envole pour Saïgon avec une centaine de dollars en poche, équipée d’un appareil Leïca M2. Rien ne peut l’arrêter, Catherine Leroy a décidé d’être photographe de guerre. Elle propose ses premières photographies aux agences présentes sur place et parvient durant l’été à se faire accréditer par Associated Press (AP). A partir de 1968, elle travaille pour l’agence Black Star. Pendant trois ans, Catherine Leroy est la seule femme à couvrir le conflit au plus près des combats, n’hésitant pas à se mettre en danger. Sa silhouette menue l’aide à passer inaperçue au plein cœur des combats. C’est également la seule (hommes et femmes compris) à sauter en parachute avec les militaires américains pendant les combats. En 1967, Catherine Leroy couvre la bataille pour le contrôle de la cote 881 au cours de laquelle elle prend l’un des clichés les plus marquants du conflit, un aide-soignant des marines américains tient dans ses bras un camarade qui vient de mourir. L’image fait partie de celles qui ont contribué à retourner l’opinion publique américaine contre l’intervention au Vietnam. Ce reportage sur la cote 881 lui vaut de recevoir le prix George Polk, décerné normalement à des journalistes américains par l'université de Long Island, dans la catégorie photographie d’actualité, qui “couronne le journalisme de l’audace“. Près de quarante ans plus tard, elle réalise pour Paris Match, à l’occasion du 30ème anniversaire de la fin de la guerre du Vietnam, un reportage sur l’ancien infirmier de la US Navy, Vernon Wike, l’homme de la cote 881. Elle le photographie chez lui, pour rendre compte de la difficile réadaptation à la vie civile des anciens combattants du Vietnam. Début 1968, elle couvre l’offensive du Têt, photographiant en plein saut des opérations aéroportées. Elle est capturée par des soldats du Nord-Vietnam et réalise lors de sa détention un reportage publié dans Life (plus grand magazine de photojournalisme de l’époque) en février 1968.
Après son retour du Vietnam, elle couvre de nombreux autres conflits, dont la guerre civile au Liban. Ce travail est récompensé en 1976 par le prix Robert Capa, prestigieuse distinction américaine décernée au “meilleur reportage photographique requérant un courage et un esprit d’initiative exceptionnels“. Elle travaille également en Somalie, en Afghanistan et en Irak. Mais jusqu’à sa mort, en 2006, elle n’a cessé de participer à des films sur les vétérans du Vietnam et à la publication d’ouvrages photographiques sur ce conflit, réfléchissant aux conséquences que ces images ont pu avoir, aussi bien pour les populations qui les ont reçues que sur les photographes qui les ont prises.
Catherine Leroy a puissamment contribué à imposer la présence des femmes parmi les photoreporters de guerre. Elle a ouvert la voie à de nombreuses photographes qui travaillent aujourd’hui aux quatre coins du monde, là où la guerre fait rage.
Photo : Christine Spengler, Funérailles d’un membre de l’IRA, Londonderry, Irlande du Nord, 1972. © Christine Spengler
Tout commence en 1970 par un voyage au Niger en compagnie de son jeune frère Eric, photographe de mode. Alors que leur voiture est arrêtée en plein désert par des combattants rebelles Toubous, ils sont faits prisonniers. Christine Spengler, alors âgée de 23 ans, emprunte l’appareil de son frère et prend des photographies de ses ravisseurs. Sur son site internet officiel, elle raconte que « sa vraie vie commence au Tchad, le jour où elle prend sa première photo (…), celle de deux combattants Toubous tirant, pieds nus, à la kalachnikov, contre les hélicoptères français ». Dès 1973, elle est à Saïgon pour couvrir la fin de la guerre du Vietnam. En 1976, elle photographie des combattants du Front Polisario, au Sahara Occidental, pour le magazine Time. Équipée d’un appareil Nikon avec un objectif grand angle de 28 mm, Christine Spengler a couvert des conflits dans le monde entier durant de longues années. Ses photographies les plus marquantes ont été prises lors de la révolution islamique de 1979 en Iran, ainsi qu’au Cambodge lors de la prise de pouvoir des Khmers rouges, et pendant la guerre civile en Irlande du Nord.
En 1991, elle publie Une femme dans la guerre, aux éditions Ramsay, un récit autobiographique dans lequel elle revient sur 25 ans de photojournalisme, depuis ce premier voyage au Niger en passant par sa rencontre en 1973, à Saïgon, avec Horst Faas, le puissant patron de l’agence Associated Press. Elle raconte notamment comment elle en est venue à retourner dans les pays qu’elle a photographiés en temps de guerre pour capter des images de la vie qui reprend le dessus.
Son travail demeure marqué par l’utilisation d’un objectif grand angle qui élargit le regard et donne davantage d’importance à l’arrière-plan. Elle photographie peu les combattants blessés, les scènes de combat en tant que tel, les effusions de sang, préférant s’intéresser aux conséquences de la guerre sur les populations civiles. Elle montre davantage la douleur des survivants que les corps des combattants tués au combat. Christine Spengler accorde une attention particulière aux femmes et aux enfants pris par les combats, documentant ainsi les déchirements occasionnés par la guerre. Elle part en 1997 en Afghanistan pour photographier les femmes opprimées par les talibans. Ses portraits de « Madones Afghanes » sont publiés dans la presse du monde entier.
Dans une interview accordée en 2013 (1), Christine Spengler revient sur les spécificités des photos de guerre prises par les femmes. Elle explique que « malgré le danger, une femme a beaucoup d’avantages. Elle peut plus facilement cacher son appareil sous un voile, et elle est acceptée aussi bien par les femmes que par les combattants et les chefs d’État les plus terribles. Le regard féminin est plus tendre. J’ai toujours su voir et photographier l’espoir au milieu des ruines. Une de mes photos les plus célèbres montre un soldat qui fouille des enfants déguisés pour le carnaval. C’était en Irlande du Nord en 1972 ».
Elle exerce cette profession jusqu’en 2003 et le conflit en Irak. Depuis elle se voue à son travail de plasticienne, à l’art du collage en particulier. Christine Spengler a porté un regard singulier sur la guerre entre 1970 et le début des années 2000, affirmant franchement sa sensibilité et déployant des partis pris artistiques marqués.
(1) Interview accordée à Élise Bernind, site internet Lumni, à l’occasion de la Semaine de la presse et des médias dans l’École, mars 2013.
Photo : Françoise Demulder, Le massacre du quartier de La Quarantaine. Beyrouth, Liban, 1976 © Françoise Demulder / Roger-Viollet
Dans un décor d’apocalypse, immeubles en feu et fumée noire épaisse qui obscurcit le ciel, une vieille femme palestinienne tend les mains vers un soldat phalangiste chrétien, le suppliant d’épargner la vie de sa famille. En pleine guerre civile au Liban, ce 18 janvier 1976, la photographe française Françoise Demulder témoigne du massacre de la population du quartier musulman de la Quarantaine à Beyrouth, par les milices chrétiennes. Elle saisit la scène. En 1977, la photographie lui vaut de recevoir le prestigieux prix World Press : elle est la première femme à le recevoir. L’image fait le tour du monde. Elle est de celles qui symbolisent une guerre et devient une icône pour la population palestinienne.
Née à Paris en 1947, Françoise Demulder ne se destinait pas au photojournalisme. Elle est d’abord mannequin. C’est au Vietnam, où elle se rend au début des années 1970 pour suivre son compagnon Yves Billy, photographe, qu’elle s’empare pour la première fois d’un appareil. Elle apprend la technique photographique sur place, dans un pays en pleine guerre, et vend ses premiers clichés à l’agence Associated Press. A cette époque, le Vietnam est une immense école de photojournalisme pour de jeunes gens curieux, notamment des femmes, possédant le goût de l’aventure. Françoise Demulder se fait connaître en avril 1975, lorsqu’elle est la seule à photographier l’entrée des chars Vietcongs dans Saïgon, alors que la ville s’est vidée de ses journalistes étrangers. Elle part ensuite au Cambodge voisin photographier la guerre civile en cours, puis au Liban. Elle parcourt ensuite le monde pour couvrir de nombreux conflits, notamment la guerre entre l'Irak et l'Iran, au début des années 1980. Elle travaille pour plusieurs agences, dont Sygma, Sipa, Gamma.
Françoise Demulder ne se contente pas de photographier les combattants sur les lignes de front, d’envoyer ses clichés pour partir ensuite vers de nouveaux reportages. Elle aime s’installer dans les pays en guerre pour une longue durée afin de s’imprégner des cultures et des modes de vie, pour mieux connaître les populations et mieux les photographier. Elle s’installe à Beyrouth au moment de la guerre civile libanaise, dans un appartement qui fait face à la mer, s’exposant ainsi aux bombardements et tirs de mortier qui ravagent la ville. Cette imprégnation lui permet de développer un regard toujours original et sensible sur les conflits qu’elle couvrait.
Françoise Demulder meurt à Paris en 2008. La jeune femme débarquée au Vietnam avec un aller simple, au début des années 1970, a marqué l’histoire du photojournalisme.
Photo : Susan Meiselas, Sandinistes devant le quartier général de la Garde nationale à Estelí. Nicaragua, juillet 1979 © Susan Meiselas / Magnum Photos
Née en 1948 à Baltimore, aux États-Unis, Susan Meiselas se lance dans le reportage photographique au début des années 1970, après ses études. En 1976, elle publie un photo-reportage intitulé Carnival Strippers, qui retrace les spectacles de strip-teaseuses à travers l'Amérique du début des années 70. Le reportage lui vaut une certaine renommée et lui permet d’intégrer, la même année, la célèbre agence Magnum. Elle voyage en Amérique latine, alors ébranlée par de nombreuses guerres civiles, sur fond de Guerre froide. Elle couvre l’insurrection au Nicaragua, participant à faire connaître le conflit en dehors des frontières de ce petit État d’Amérique centrale. En juillet 1979, elle photographie le départ du dictateur nicaraguayen Anastasio Somoza et la prise de pouvoir par les insurgés sandinistes. Une image en particulier, celle d’un guérillero sandiniste, un cocktail Molotov à la main, marque les esprits. Elle a longuement suivi cette révolution armée, captant les séances d’entrainement des combattants dans les campagnes, leurs coups de forces ou les exécutions sommaires. Elle manifeste déjà cette attention particulière accordée aux personnes qu’elle photographie, cette volonté d’être au plus près des gens. L’usage de pellicules couleur distingue le travail de Susan Meiselas de celui de la grande majorité des photographes de son époque. De ce travail, elle tire un livre sobrement intitulé Nicaragua, paru en 1981. A la même époque, elle se rend au Salvador pour couvrir une autre guerre civile.
Mais la photographe a largement débordé le cadre du photoreportage de guerre, multipliant les projets de tous formats, parfois sur de longues durées. Sollicitant à divers titres la participation à ses reportages, des personnes qu’elle photographie, elle a inventé une pratique du photoujoumalisme inclusive et collaborative. Dès 1971, dans 44 Irving Street, elle fait le portrait des résidents de son foyer d’étudiante, accompagnant ses photographies des commentaires des étudiants sur leur propre représentation. Au cours des années 1990, elle se rend en Iran, en Irak et en Turquie pour photographier le peuple Kurde victime du génocide commis par Saddam Hussein en 1988. Ce projet au long court, qui comprend l’archivage de photographies prises depuis le début du XXe siècle, a pour ambition de conserver la mémoire d’un peuple. Dans la série Prince Street Girls, elle photographie sur plus de vingt ans, entre la fin des années 1970 et le début des années 2000, les "filles de Prince Street" grandies dans le quartier de la Petite Italie à New York. Elle les montre dans leur vie quotidienne, jusque dans leur intimité. Dans Crossing over the Us-Mexican Border, elle photographie des hommes et des femmes qui prennent tous les risques pour « passer de l’autre côté ».
Susan Meiselas fait partie de ces photographes qui interrogent leur pratique et exercent un travail critique sur leur œuvre. Son travail théorique ne cesse de s’interroger sur la manière dont une photographie peut s’adresser au public, sur ce qu’elle peut signifier et comment elle le signifie. Elle est aujourd’hui présidente de la Fondation Magnum, et à ce titre, encourage le travail de jeunes photographes qui se lancent dans la profession. Elle continue de défendre cette idée que la photographie doit être une ouverture sur le monde, un moyen de mieux le percevoir et de mieux le comprendre, de s’engager dans le monde.
Photo : Carolyn Cole, Une photo de Saddam Hussein, criblée d’impacts de balles et recouverte de peinture par Salem Yuel. Bagdad, Irak, avril 2003 © Carolyn Cole / Los Angeles Times
Carolyn Cole fait aujourd’hui partie des grands noms du photojournalisme. Récompensée par les prix les plus prestigieux, son nom est étroitement associé à un journal, le Los Angeles Times, pour lequel elle travaille depuis 1994.
Née en 1961, Carolyn Cole étudie le photojournalisme dans plusieurs universités américaines puis travaille pour diverses publications à partir du milieu des années 1980, avant de rejoindre la prestigieuse publication californienne. En 1994, elle est récompensée du prix de la rédaction du Los Angeles Times pour son reportage sur la crise en Haïti. Dans la seconde moitié des années 1990, elle se met à parcourir le monde pour rendre compte des conflits qui s’y déroulent. Alors que la Guerre froide est terminée, et que l’on théorise la fin de l’histoire, la superpuissance américaine peine à faire régner l’ordre dans le monde. L’instabilité est grandissante. De nombreux conflits de faible envergure, souvent des guerres civiles, font de nombreuses victimes parmi les populations civiles, surtout sur le continent africain et au Moyen Orient. Elle est présente en Palestine en 2002, lorsque l’armée israélienne assiège pendant plus d’un mois l’église de la Nativité à Bethléem. Elle est la seule journaliste à photographier les combattants, policiers et civils palestiniens retranchés dans le bâtiment. Ce reportage lui vaut de recevoir la médaille d’or Robert Capa en 2002. L’année suivante, elle se rend en Irak pour couvrir la seconde guerre d’Irak et se trouve aux côtés des troupes américaines qui conduisent l’assaut contre Bagdad. Elle photographie un monde qui s’embrase, quittant l’Irak pour se rendre directement au Libéria, ravagé par la guerre civile. A Monrovia, elle photographie les combats de rue entre les milices armées, les enfants soldats, les flots de réfugiés qui quittent la ville et s’entassent dans des camps. En 2004, une seconde médaille d’or Robert Capa, ainsi que le prestigieux prix Pulitzer récompensent ces images, « pour son regard cohérent et en coulisses sur les effets de la guerre civile au Libéria, avec une attention particulière aux citoyens innocents pris dans le conflit ».
Au cours des années 2000, elle oriente son travail vers la couverture des grandes catastrophes écologiques causées par les Hommes ainsi qu’aux catastrophes naturelles dont certaines sont liées au dérèglement climatique, témoignant d’une sensibilité accrue aux questions environnementales. En 2008, elle photographie la ville de la Nouvelle Orléans ravagée par l’ouragan Katrina, en 2010, c’est la marée noire dans le Golfe du Mexique, provoquée par l’explosion de la plate-forme de British Petroleum. Aujourd’hui, Carolyn Cole continue son travail photographique pour le Los Angeles Times, s’intéressant désormais à la protection de la nature et des milieux marins.
Photo : Anja Niedringhaus, Des Afghans à moto passent devant des soldats canadiens du Royal Canadian Regiment en patrouille dans le district de Panjwai, au sud-ouest de Kandahar. Salavat, Afghanistan, septembre 2010 © Anja Niedringhaus/AP/SIPA
Le 4 avril 2014, dans la province reculée de Khost, en Afghanistan, à l’intérieur d’une base des forces de sécurité locales, Anja Niedringhaus est tuée par un policier afghan. Elle couvrait, pour Associated Press, la campagne pour les élections présidentielles, dans ce pays d‘Asie centrale en situation de guerre civile depuis des décennies. Cela faisait plus de vingt ans qu’elle arpentait le monde, photographiant la guerre pour mieux la combattre : «Je ne peux pas tirer de mon sac de photo des remèdes immédiats, mon devoir c'est de parler de la guerre», déclarait la photographe dans une interview à la radio allemande Deutschlandradio Kultur en 2011 (1). En 2010 déjà, elle avait survécu à une explosion d'obus en Afghanistan. Dans cette même interview, elle explique que «Ça arrive. Si on couvre pendant des années des zones de guerre, il faut être conscient qu'on risque d'être touché» (2).
Anja Niedrinhaus se lance dans la photographie de presse dès l’âge de 16 ans, dans sa ville natale de Hoexter, en Allemagne, travaillant pour la presse locale. Elle étudie ensuite la littérature, la philosophie et le journalisme à Goettingen, sans jamais cesser de photographier et de vendre ses clichés à diverses publications. La jeune Anja photographie comme elle respire, le journalisme est pour elle une évidence. Elle est présente à Berlin, appareil à la main, en nombre 1989 au moment de la chute du mur. Ce reportage lui permet d’intégrer, à vingt-quatre ans, l’European Press Photo Agency, EPA, basée à Francfort. Pour cette agence, elle couvre la guerre civile en ex-Yougoslavie au milieu des années 1990 ainsi que la situation en Russie durant les années mouvementées qui suivent la désintégration de l’URSS. Anja Niedringhaus suit au plus près la recomposition du continent européen, avec ses irruptions de violence.
En 2002, elle rejoint Associated Press, agence pour laquelle elle photographie les guerres en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, à Gaza et en Libye. Elle travaille régulièrement comme journaliste « embarquée », c’est-à-dire affectée à une unité militaire, suivant au plus près les soldats dans leurs opérations. En Irak, elle est l’une des rares photographes présents lors de la bataille de Falloujah. C’est pour ces images particulièrement saisissantes qu’elle reçoit en 2005, avec toute l’équipe d’Associated Press, le prix Pulitzer. Photographe polyvalente, Anja Niedringhaus ne se cantonne pas à la photographie de guerre, se consacrant notamment à la couverture de grands événements sportifs comme les jeux olympiques. Elle peut ainsi passer des théâtres de conflit les plus exposés, n’hésitant pas à mettre sa vie en danger, aux pistes d’athlétisme pour capter les corps des athlètes en mouvement. Ces photographies d’événements sportifs sont un moyen pour elle d’échapper quelque temps à la dureté des scènes de combat, au spectacle des populations civiles victimes de la guerre auxquelles elle accorde une grande importance dans son travail.
Anja Niedringhaus a pratiqué la photographie au péril de sa vie pour témoigner. Elle voulait montrer la guerre, dans toutes ses dimensions et toutes ses conséquences, luttant ainsi contre l’ignorance et l’indifférence.
(1) Extrait du site internet de Libération, Judith Kormann, 4 avril 2014.
(2) Idem