Faire entendre une autre voix

La fabrique d’une presse résistante. Qu’est-ce qu’un journal clandestin ?

Dans la France occupée, en zone Sud, placée sous le contrôle autoritaire du régime de Vichy, des femmes, des hommes, des étudiants, français mais aussi étrangers, ressentent rapidement le besoin de faire entendre une autre voix pour combattre la propagande à l’œuvre. Les premiers mouvements de Résistance se structurent autour de la publication de journaux clandestins. C’est le cas de Libération-Nord de Christian Pineau (le premier numéro paraît en décembre 1940), de Libération-Sud d'Emmanuel d'Astier de la Vigerie (le premier numéro paraît en juillet 1941) (cf Musée de la Résistance en ligne).

Mais la chose n’est pas simple. Un décret de novembre 1940 interdit aux fabricants, marchands et grossistes, de vendre sans autorisation délivrée par le commissaire de police les appareils duplicateurs et le papier susceptibles d’être employés à la confection de tracts. La vente de papier en particulier, est strictement contingentée. Les premiers résistants s’organisent de manière clandestine avec le peu de moyens dont ils disposent. Ils font des réserves d’encre vendue au marché noir, et fabriquent eux-mêmes de la pâte à polycopier, un matériel peu encombrant et silencieux (il s’agit de ne pas se faire remarquer par des voisins susceptibles de dénoncer les résistants à la police). Patiemment, dans l’obscurité des caves d’immeubles, des ateliers d’arrière-cours, les résistants pouvaient tirer plusieurs dizaines de documents en une seule soirée.

L’impression d’un journal clandestin est une activité hautement risquée, en particulier en zone occupée. Raymond Deiss, imprimeur et éditeur de musique, rédige et imprime en octobre 1940 le premier numéro de Pantagruel, considéré comme le premier journal clandestin français. Il publie 16 numéros avant d’être arrêté le 7 avril 1942. Déporté à Trêves en octobre 1942, il est condamné à mort et décapité en mai 1943.

Ces journaux correspondent souvent à une simple feuille de petite dimension imprimée recto verso, dans une typographie serrée, avec une mauvaise encre. Il n’est pas toujours aisé de les distinguer des simples tracts. La notification de la date, la mention d’un numéro, d’une périodicité, permettent tout de même de les identifier comme des journaux. Jean-Pierre Lévy, à la tête du mouvement Franc-Tireur, dit ceci au sujet du premier numéro qui n’a pas été daté, « Nous aurons l’air de quoi si nous ne publions que le numéro un ».

Le nombre d’exemplaires de chaque numéro est très limité. D’où cet appel à la une du journal résistant Franc-Tireur, le 20 janvier 1943 : « On ne détruit pas le Franc-Tireur, on le donne à un ami ». La phrase souligne le caractère précieux de cet objet de papier fabriqué en faible nombre, au prix de grands risques. Des résistants, spécialement affectés à la diffusion de la presse clandestine, récupèrent les journaux dans des lieux secrets appelés « boîtes aux lettres », pour les faire circuler de mains à mains, dans l’obscurité d’un porche, le métro, etc.

Malgré le peu de moyens, malgré les risques encourus, le tirage de la presse clandestine atteint plus de deux millions d'exemplaires à la veille de la Libération, soit autant que la presse autorisée.

La presse clandestine de la Résistance. Un podcast de Thanh-Trâm Journet-Nguyen, conférencière à Paris musées

Face au contrôle étroit de la presse officielle, la presse clandestine de la Résistance obéit à de nombreux objectifs

Voir aussi